30 Jan 2016 / Gary Camboulives, Psychopraticien à Paris

Emotions et consorts

Expérience

Je souhaite vous proposer une expérience rapide afin d’étayer la suite de mon article.

Je vais vous proposer d’imaginer une scène et je vous demanderai de répondre à la fin à une question. Rassurez-vous, il n’y a ni bonne, ni mauvaise réponse.

Imaginez que votre écrivain favori (ou votre rock star préférée, votre vedette de cinéma, votre sportif ou ce qui vous convient le mieux ; vous adapterez la suite en fonction de votre choix) vient dans votre ville pour une dédicace sur un salon. Vous attendiez ce mot unique depuis longtemps, très longtemps même. Vous allez enfin rencontrer votre idole et vous comptez bien lui faire dédicacer votre livre favori. Vous l’avez lu et relu. Et il n’a plus aucun secret pour vous. Le jour J arrive. Vous êtes fin prêt. Vous vous rendez au salon, vous vous présentez sur le stand, bien avant l’heure de la dédicace. Premier constat, vous n’êtes pas le premier et loin de là. Il y a déjà du monde, vraiment beaucoup de monde devant vous. C’est embêtant. Une hôtesse rappelle, avec un sourire aimable, que la dédicace ne durera qu’1 heure et que l’auteur ne fait qu’une dédicace par personne et en 3 mn maximum d’échange. Une courte estimation et vous vous dites que, avec votre position dans la file, ce n’est pas gagné. L’hôtesse remonte la file pour compter les dédicaces. Elle s’arrête juste à côté de vous : « bravo, monsieur, vous êtes la dernière dédicace » vous dit-elle. C’est une aubaine ! Vous patientez encore. L’auteur arrive enfin et les dédicaces s’enchainent. La vôtre approche. D’un seul coup, vous cherchez votre livre. Vous vous rendez-compte que vous l’avez oublié chez vous. Dans votre précipitation pour arriver le plus tôt possible, vous êtes parti sans. Vous ne pouvez plus quitter la file pour acheter le livre, là à quelques mètres de vous sur le stand de vente. Personne autour de vous. Personne à qui demander ce tout petit service. Ah, si, l’hôtesse. Vous la sollicitez. Elle vous explique, toujours avec son aimable sourire, qu’elle ne peut pas quitter son poste. Il va vous falloir vous résigner. Vous allez partir du salon sans votre fameuse dédicace. Et vous devrez attendre la prochaine apparition de votre auteur favori.

Quand vous réalisez cela, que ressentez-vous ?

Le cadre

Il y a beaucoup de vocabulaire autour du concept d’émotion en Analyse Transactionnelle : racket, émotion naturelle, sentiment-parasite, émotion authentique, émotion-parasite, parasitage, etc. J’ai eu envie dans cet article de mettre à plat cette terminologie et de clarifier les notions qui se trouvent derrière chaque terme.

Que d’émotions ! Diverses approches des émotions.

L’émotion n’est pas une notion spécifique de l’AT. Rien d’étonnant à cela, c’est un concept vieux comme Hérode (734 avant J.C). Les 1ers écrits sur le sujet datent de Platon (427-358 av. J.-C.). Et la liste est longue de tous ceux qui se sont penchés sur le sujet en plus des philosophes : les religions (ne plus en avoir), les scientifiques (les étudier), les entreprises (les utiliser « intelligemment »), le sport (savoir les « gérer), les thérapeutes (les libérer), jusqu’à vous et moi aujourd’hui. Pour autant, l’émotion est une notion floue et elle est difficilement définissable. Le problème dans la définition de l’émotion vient du fait qu’elles ne se rapportent souvent qu’à un aspect de l’émotion. Par exemple, rien qu’en biologie, pendant que certains s’intéressent aux aspects endocrinologiques (contexte hormonal), d’autres s’occupent des aspects neurophysiologiques (structures nerveuses centrales et périphériques mises en jeu) ou éthologiques (les aspects comportementaux) ou encore phylogénétiques (conceptions évolutionnistes darwiniennes et post-darwiniennes). Et au final, nous nous retrouvons avec une pluralité de définitions parfois même contradictoires.

Alors comment définir alors une émotion dans toute cette cacophonie ?

Je vous propose de nous référer aux travaux de recherche du docteur en psychologie clinique Paul Ekman. Vous connaissez peut-être la série américaine « Lie To me » où le Dr Cal Lightman, psychologue expert en détection de mensonges par l'analyse de « micro-expressions », résout des enquêtes criminelles particulièrement difficiles. Cette série est basée sur les découvertes scientifiques de Paul Ekman. Ce pionnier des émotions dans leurs relations aux expressions faciales a mis en évidence les émotions dites " basales " ou " primaires "ou “modales“, telles la peur, la surprise, la colère, la joie, la tristesse, le dégoût. Il y en a quelques autres mais elles ne font pas l’unanimité sans compter leurs dérivées, les émotions " mixtes " qui résultent des mélanges des émotions basales. Ces travaux ont montré que les émotions de base sont phylogénétiquement (relatif à l'histoire évolutive d'une espèce) adaptées pour permettre à l'organisme de faire face à différents problèmes fondamentaux de la vie courante qui nécessitent des réactions rapides et temporaires. Une émotion est une réaction psychologique et physique à une situation. Elle a d'abord une manifestation interne et génère une réaction extérieure. Elle est provoquée par la confrontation à une situation et à l'interprétation de la réalité.

Les sentiments, eux, ont des causes plus complexes. Ils ont une durée plus longue et leur intensité est plus basse. L’origine des sentiments est souvent une fixation affective à des objets précis. Mais les sentiments persistent et sont vécus même en l’absence de ces objets.

Avec ces notions « d’émotion » et « de sentiments », je vais poursuivre sur des considérations plus orientées AT (Analyse Transactionnelle).

Mais avant, revenons à notre expérience d’introduction. Demandez-vous maintenant ce que vous avez ressenti.

Et l’AT dans tout cela ? Emotions en AT.

Dans les articles AT que j’ai pu lire, le concept d’émotion fait l’objet de peu de définition. Par exemple, dans « AT : Retour aux sources », Carlo MOISO et Michele NOVELLINO écrivent « chez une personne saine, la tendance est d’avoir une émotion, de l’exprimer, puis de résoudre la situation qui a créé cette émotion et, enfin, de se tourner vers autre chose ». Et voilà, sur l’émotion telle que nous venons de le voir, c’est tout. En fait, oui et non. Je dirais plutôt que les transactionnalistes ont traité le champ émotionnel essentiellement sous l’angle du racket.

Le racket, le sentiment parasite et l’émotion parasite

Eric BERNE

Tout commence avec Eric BERNE. Il utilise le terme de « racket » dans son article « Trading stamps » en 1964. Pour lui, le racket est une modalité d’exploitation des autres. Cette modalité (i.e. ce moyen) est caractérisée par une monnaie de paiement (ce sont les « timbres » ou « stamps » en anglais). Cette monnaie prend la forme de sentiments, principalement culpabilité, peur, douleur, rage, et souvent inadéquation, stupidité. Dans cette définition, Eric Berne associe le racket à un processus relationnel. Il donne aussi comme origine du racket le moyen que les enfants apprennent de leurs parents pour gérer les situations difficiles. Dans ses ouvrages « Principes de traitement psychothérapeutique en groupe » et dans « Que dites-vous après avoir dit bonjour ? », il intègre aussi au racket un processus intrapsychique en définissant le racket comme « l’érotisation et l’exploitation transactionnelle des sentiments désagréables ». Niveau transactionnel, niveau intrapsychique, le cadre est posé pour les suivants.

Revenons en une nouvelle fois à notre expérience d’introduction. Demandez-vous dans quelles situations stressantes ce que vous avez ressenti se manifeste t il ?

Claude STEINER

A la suite d’Eric BERNE, Claude STEINER élabore le concept de racket (1967) comme « l’acte de rechercher et collectionner les timbres … qui représentent l’affect lié à la fin d’un jeu : rage, dépression, tristesse, etc. ». Il décrit le sentiment-parasite comme un jeu de pouvoir criminel. Le parasitaire prend quelque chose à quelqu’un, sans son accord. Au détour, Claude STEINER précise que l’émotion est un phénomène non-transactionnel a contrario du sentiment-parasite.

Fanita ENGLISH

L’utilité de classer les émotions en quatre “émotions de base” est de pouvoir simplifier la compréhension des émotions et de leur cycle de résolution.

En effet, à chacune de ces émotions de base correspond une action adéquate à sa résolution. En identifiant l’émotion de base concernée par notre ressenti, nous pouvons donc agir de façon appropriée.

Dans certains cas, la fonction de résolution de nos émotions est mal utilisée et nous les utilisons de manières inappropriées.

F. English décrit trois modes de dysfonctionnement des émotions : la substitution d’une émotion à une autre, la collection de timbre et les émotions élastiques.

→ Les émotions élastiques consistent en une réaction liée au passée en lien avec une situation de l’ici et maintenant. C’est une réactivation du refoulé. Lorsqu’une personne n’a pas pu ou su exprimer une émotion, ce qu’elle a réprimé cherche une issue. Tout ce qui lui rappellera cette frustration de résolution, réveillera alors le passé. Ces émotions élastiques amènent des réactions excessives car elles assimilent des situations douloureuses du passé aux situations présentes.

→ La substitution d’émotion (racket) consiste en le remplacement d’une émotion réprimée par une émotion permise. Chaque famille possède un éventail bien à elle d’émotions permises et un éventail d’émotions interdites ou découragées. Lorsqu’un enfant éprouve une émotion interdite, il passe rapidement dans une émotion permise qui lui apportera la reconnaissance et l’acceptation de son environnement.

→ La collection de timbre est un comportement consistant en un processus de répétition de substitution d’émotion. Cela conduit à une accumulation d’émotions parasites visant à être échangée plus tard lors du phénomène de la “goutte d’eau qui fait déborder le vase”. Les émotions parasites éprouvées sont souvent le bénéfice de jeux psychologiques.

Ces situations se présentent lorsqu’on est confronté à l'âge adulte à des situations qui nous font ressentir des émotions interdites ou peu encouragées dans notre enfance. En effet, les émotions sont apprises aux enfants par leurs parents.

Ø Dans le filtre familial, certains désirs et besoins ne sont pas reconnus ou sont considérés comme dangereux voire menaçants et les émotions qui les induisent sont donc bannies.

Ø Lorsqu’elles se manifestent chez l’enfant, elles font souvent l’objet soit d’une interdiction stricte soit d’une méconnaissance.

Ø Les parents poussent alors leur enfant à remplacer ces émotions par d’autres.

Ø Il s’ensuit une sorte de suppression de la conscience de l’émotion défendue.

F. English explique que, pour compenser l’insatisfaction liée à l’impossibilité de résoudre les conflits en rapport avec l’émotion refoulée, la personne intensifie l’usage de son émotion parasite.

Dans ce même cadre familial se construit la relation entre le ressenti d’une émotion et l’action appropriée pour satisfaire le besoin qui lui est sous-jacent. D’autant que chez le jeune enfant, le ressenti et l’action sont quasiment simultanés.

F. English signale alors l’importance de nommer les émotions ressenties par l’enfant pour qu’il soit en capacité de mettre un nom sur ce qu’il ressent et qu’il puisse le reconnaître comme légitime et naturel. Ainsi, il est autorisé à ressentir toutes sortes d’émotions et ce qui lui est interdit (ou ce qui est reconnu comme non approprié) est simplement un type de comportement. C’est le comportement qui est reconnu comme “mauvais” et non pas l’émotion.

L’émotion parasite est donc l’issue d’un mécanisme dont le but est de recevoir des signes de reconnaissance et de confirmer son scenario de vie.

Retournons à notre expérience d’introduction. Demandez-vous si l’émotion que vous avez ressentie a été encouragée dans votre famille alors que d’autres étaient découragées ou interdites.

Richard ERSKINE et Marylin ZALCMAN

Schémas de manipulation relationnelle appris ? Sentiments ? Les transactionnalistes ont beaucoup débattu (cf. KARPMAN S.B. et D'ANGELO A., Sentiments-parasites, A.A.T., 7, 1978, pp. 100-107. C.A.T., 1, pp. 158-165) sur le racket.

Dans la variété des définitions, le système du sentiment parasite de Richard ERSKINE et Marylin ZALCMAN apporte une vision unificatrice. Il s’agit « d’un système distordu et auto-renforçant de pensées, de sentiments et de comportements, qui assure la stabilité du scénario psychologique de la personne ». Il se compose de 3 parties reliées entre elles : les croyances et les sentiments de scénario (niveau intrapsychique), les manifestations parasitaires (le niveau relationnel) et les souvenirs renforçant (les 2 niveaux).

Dans « AT : Retour aux sources », Carlo MOISO et Michele NOVELLINO expliquent que ce système comporte une double contamination de l’état du moi Adulte :

Par l’état du moi Enfant, notée E/A (dont l’origine est l’émotion présente au moment de la décision de scénario) et celle par l’état du moi Parent, notée P/A (due à la décision de scénario).

Exemple : Imaginons un petit enfant. Imaginons que ses parents ou d’autres facteurs lui interdisent ou inhibent (c’est la pression externe) une action sociale spécifique (« Je t’interdis formellement de faire une colère ! »). L’état du Moi E1 du petit enfant subit un malaise, dû au conflit entre la pression externe et son besoin. Cette émotion qui n’a pas trouvé de résolution est l’émotion parasite primaire. A partir de cet événement spécifique, l’état du Moi A1 du petit enfant procède à une généralisation (contamination E/A) pour aboutir à une règle spécifique (contamination P/A). Le petit enfant s’adapte alors pour manifester une action substitutive qui lui permettra d’être accepté ou gratifié par ses parents. Il exprime dans le même temps une émotion parasite relationnelle appropriée à son action substitutive qui correspond à sa décision de scénario. Malheureusement, les caresses reçues ne résolvent pas son conflit originel. L’émotion parasite primaire va continuer à renforcer les aspects intrapsychiques du scénario et l’émotion parasite relationnelle va continuer à renforcer les aspects sociaux. Quand l’émotion parasite relationnelle ne suscite pas de réponses suffisantes de l’entourage, l’individu entame des jeux psychologiques. L’émotion désagréable que l’individu obtient en bénéfice des jeux psychologiques est l’émotion parasite secondaire.

Un dernier retour à notre expérience d’introduction. Demandez-vous si ce que vous avez ressenti a été ou non utile pour résoudre votre problème.

Une synthèse des émotions en AT

Les émotions saines

Pourquoi les émotions sont elles importantes ?

Les émotions sont à l’origine du sentiment de soi (I. Filliozat). Quelqu’un qui se définit par ses valeurs est figé, quelqu’un qui se définit en fonction de ses émotions et donc de ses besoins a une certaine souplesse. L'émotion est une réaction physiologique de l’organisme. Les émotions sont fonctionnelles, elles ont pour but la résolution d’un problème.

Le cycle des émotions “saines” est : sensation, conscience, expression, action, dépassement de l’émotion.

Au cours d’une émotion, il y a un moment de charge, un moment sous tension, et un moment de décharge. Une émotion fonctionnelle met quelques secondes à se décharger, maximum quelques minutes (Paul Ekman). Si l'émotion n’est pas déchargée, le corps reste en tension, ce qui le stress. Chaque émotion quelle qu’elle soit, doit être ressentie, exprimée et agie pour ne pas faire problème pour un sujet. Une émotion qui dure est donc dysfonctionnelle.

Les émotions saines « sont vécues par l’état du Moi Adulte (schéma structural) et manifestées par l’Enfant Libre (schéma fonctionnel). Elles sont proportionnelles au stimulus en qualité et en intensité. Elles se réfèrent à l’ici et maintenant. Elles motivent l’action. Elles invitent à l’intimité. Elles ne sont pas connectées au scénario » selon Carlo MOISO et Michèle NOVELLINO dans « AT : Retour aux sources ».

Les émotions parasites

Les émotions parasites « sont vécues au niveau de l’Enfant ou du Parent (schéma structural) et c’est l’Enfant Adapté qui les manifeste (schéma fonctionnel). Elles ne sont pas proportionnelles au stimulus (émotions parasites primaires et relationnelles). Elles se déroulent hors de l’ici et maintenant (émotions parasites primaires et relationnelles). Elles se substituent aux autres sentiments (émotions parasites relationnelles). Elles manipulent les autres (émotions parasites relationnelles) ou soi-même (émotions parasites primaires), ou les deux (émotions parasites secondaires). Elles ne poussent pas à l’action mais à l’auto-complaisance ou à l’apitoiement sur soi (émotions parasites primaires), au passage à l’acte (émotions secondaires), à l’appel symbiotique (émotions parasites relationnelles) » selon Carlo MOISO et Michèle NOVELLINO dans « AT : Retour aux sources ».

Conclusion

La visée de cet article était de préciser les concepts d’émotion et de racket. J’ai choisi le prisme de l’Analyse Transactionnelle qui est une des méthodes que j’utilise dans mon cabinet de psychothérapie ainsi que l’aspect uniquement psychologique afin de restreindre l’étendue du sujet. Et là encore, ce ne sont là que les grandes lignes que vous pourrez approfondir si le sujet vous a intéressé.

Articles

émotions et consorts

Emotions et consorts

Lire l'article
Walter en analyse

Walter en analyse

Lire l'article

Pour prendre rendez-vous merci de me contacter au
06 25 47 48 25
ou directement en ligne

JE PRENDS RENDEZ-VOUS
Pour garder le contact, utilisez les réseaux sociaux